OPINION. Les Grands-parents pour le climat ont bien écouté les arguments du représentant de la Confédération à l'audience de la plainte déposée contre l'Etat suisse par les Aînées pour le climat – et ils sont atterrés
Les Aînées pour la protection du climat ont été entendues ce 29 mars par la Cour européenne des droits
de l'homme: elles attaquent la Suisse pour son inaction climatique et pour les conséquences de cette négligence sur leur santé. En juriste, le représentant du gouvernement fédéral a argué de l'irrecevabilité de la plainte. Il s'est pourtant aussi comporté en politique, agissant au nom du «gouvernement».Lire aussi: Politique climatique suisse et droit à la vie: une passe d'armes historique devant les juges de Strasbourg
La surprise est venue lorsqu'il s'est aventuré sur des considérations climatiques. Deux arguments à la fois contradictoires et irrecevables se sont télescopés dans son propos.
Le premier consiste à dire que la Suisse émet une proportion minime de gaz à effet de
serre. Elle n'aurait «pas de chance réelle» d'œuvrer contre le dérèglement climatique. Le
second consiste à dire qu'en dépit de cette impuissance, la Suisse «ne nie pas qu'elle doit
faire sa part».
Arithmétiquement parlant, une multiplication par zéro est égale à zéro: si la Suisse n'a aucune «chance réelle», la part qui lui incombe sera nulle. A la décharge du représentant du gouvernement suisse, on dira que les juristes sont souvent fâchés avec les mathématiques… A sa charge, on notera que le même gouvernement, le 4 avril, annonçait fièrement qu'une résolution suisse avait été adoptée par le Conseil pour les droits de l'homme. Cette résolution portait sur le droit à un environnement sain et durable. On ne saurait mieux illustrer la contradiction entre l'affirmation de grands principes et l'indifférence face à leur application.
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Voici quelques faits. Les émissions annuelles directes de la Suisse, en chiffres absolus,
sont d'environ 40 millions de tonnes équivalent CO2 en 2020. Cela équivaut à 4,39 tonnes par personne, plus du double de ce qui serait nécessaire pour respecter l'accord de Paris – dont notre pays est signataire, et alors que cet accord ne permet même pas de respecter les deux degrés centigrades d'augmentation des températures. Pour ralentir le dérèglement climatique, il serait nécessaire d'émettre moins d'une tonne d'équivalent CO2 par habitant. Et voilà qu'un communiqué de l'Office fédéral de l'environnement reconnaît, ce 11 avril, «une légère hausse des émissions de gaz à effet de serre en 2021». La Suisse fait-elle sa part?
Non, d'autant que c'est un truisme de rappeler que les émissions directes ne sont qu'une
partie de l'empreinte carbone effective. La Suisse importe habits, équipements domestiques, outils de travail, véhicules, etc., qui sont nécessaires à la vie en commun. La véritable empreinte de nos comportements exige que l'on en tienne compte et que l'on multiplie par trois le chiffre des émissions directes. Selon l'Office fédéral de la statistique lui-même, «l'empreinte gaz à effet de serre de la Suisse s'élevait à 103 millions de tonnes d'équivalent CO2, dont 66% étaient émis à l'étranger». Cela porte les émissions de gaz à effet de serre par habitant-e en Suisse à 13 tonnes. Le jour du dépassement (le moment de l'année où l'on a épuisé les ressources planétaires renouvelables) en Suisse est en mai, alors qu'à l'échelle de la planète il tombe fin juillet.
Ajoutons une note éthique. La rhétorique tenue devant la CEDH équivaut à dire: «j'agirai lorsque les autres auront bougé». Rappelons «l'impératif catégorique» de la philosophie classique: nos actions devraient être jugées au critère de leur possible généralisation. Ne pas agir contre le dérèglement climatique, sous prétexte que notre action n'aurait pas de «chance réelle» de le combattre, cela revient en réalité à contribuer activement à la dégradation du climat et de l'environnement.
Quel motif a conduit le représentant du gouvernement devant la CEDH à quitter l'argumentation juridique et à s'aventurer dans une si piteuse diatribe politicienne? Soyons charitables, retenons l'hypothèse que le Conseil fédéral souhaite perdre devant la cour et qu'il a suggéré à son représentant d'user de raisonnements climatiques confinant à l'ineptie. Faisons preuve de plus de mansuétude encore: il lance ainsi idéalement la campagne en faveur de la «loi climat» que nous voterons le 18 juin.