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vgl.auch Kurzbericht und Fotos zur veranstaltung:
https://gpclimat-interregio-d.blogspot.com/2022/02/tst.html
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TRIBUNE
M’engager pour le climat, parce que c’est un devoir
Cela fait 20 ans que je travaille en Afrique, m’occupant de projets de plus en plus gros, dont le but est de sauver des vies d’enfants, grâce à de l’argent qui provient en grande partie du gouvernement de notre pays. Et c’est vrai que durant les 15 premières années c’était très encourageant : on avait réussi à diminuer la malaria de moitié, la malnutrition avait reculé de
30 %, et on était donc passé d’un enfant sur 6 à un sur 25 qui mourrait avant l’âge de 5 ans. Mais tout à coup, il y a à peu près 5 ans, j’ai commencé à observer, sur le terrain, des choses étranges. Mes collègues chercheurs et chercheuses de l’Institut de recherche à Bagamoyo en Tanzanie se sont mis à construire des digues parce qu’ils ont bien vu que le niveau de la mer monte de plus en plus vite. Leur laboratoire, essentiel pour la surveillance des virus émergeants, va donc bientôt se remplir d’eau. Quand je consultais avec mon collègue, qui est agent de santé dans un village du delta du Sine Saloum au Sénégal, les problèmes médicaux les plus fréquents chez les adultes n’étaient pas du tout ceux auxquels je m’attendais : ils étaient liés à l’anxiété de devoir quitter leur village qui sera bientôt rayé de la carte.À l’hôpital, au lieu d’avoir une seule femme enceinte par lit, on a recommencé à en mettre deux, à cause d’une augmentation des cas de malaria sévères. Le nombre d’enfants dénutris a recommencé à augmenter, ce que dit bien l’ONU pour l’alimen tation et l’agriculture, qui indique que le taux actuel de malnutrition est remonté au niveau de celui qu’on connaissait il y a 10 ans. Toutes ces observations sont confirmées par nos analyses scientifiques, qui montrent que les pics de mortalité dus à la malaria chez les enfants sont corrélés non pas avec les ruptures d’approvisionnement en médicaments ou une baisse de la distribution de moustiquaires, mais « tout simplement » à une diminution du nombre de kilos de riz produits. Les paysans nous disent qu’à cause de la sécheresse, ils observent une baisse du rendement de leurs cultures, qui sont de plus en plus souvent détruites par des intempéries inhabituelles.
Dans nos études où l’on intervient pour améliorer la qualité des soins, le facteur qui prédit qu’un enfant ne vas pas guérir malgré nos interventions, en dehors de son état nutritionnel, est la présence de maladies respiratoires, qui justement augmentent à cause de la pollution de l’air. Dans certaines grandes villes, les enfants inspirent à l’heure actuelle l’équivalent de 40 cigarettes par jour… Nos interventions de santé ne servent donc plus à rien, car leurs effets bénéfiques sont annulés par ceux de la dégradation de l’environnement !
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, cet impact du dérèglement climatique sur la santé ne concerne pas que les habitant-es des régions du Sud, très loin de la Suisse. Chez nous, le nombre de crises d’asthme augmente, dues aux pics de pollution, en particulier quand la température monte, car les microparticules restent alors en suspension dans l’air. Regardez les bulletins de météo suisse la prochaine fois qu’il fait très chaud… Il y a, en Suisse, plus de 3000 personnes qui meurent chaque année de la pollution de l’air, c’est-à-dire l’équivalent en 4 ans de ce qu’on a vécu en 2 ans de pandémie. Mais ça, malheureusement, personne n’en parle, et surtout personne ne prend le problème en main, en tout cas pas avec la même vigueur que pour celui du Covid-19… Nos légumes proviennent en grande partie d’Espagne, dont la partie sud est en train de se désertifier. Là-bas des villages entiers n’ont plus d’eau du jour au lendemain, car tout à coup leur nappe phréatique est vide. La Suisse aura donc de plus en plus de mal à se fournir en légumes variés provenant de l’étranger. La qualité de notre nourriture va par conséquent baisser, de même que l’espérance de vie des nouvelles générations, bien plus que celle qu’on a perdue avec le Covid-19. Pendant ce temps-là, la Suisse continue à signer des accords de libre-échange avec des pays qui doivent alors abattre des forêts entières, on détruit la colline du Mormont, tout ça en pleine pandémie… alors qu’on a maintenant prouvé scientifiquement que les pandémies sont dues principalement à la perte de la biodiversité… et à l’élevage intensif des animaux, pratique toujours autorisée sans problème en Suisse.
On est donc entrés dans l’ère des pandémies ; j’espère que celle dont on souffre actuellement sera bientôt terminée, mais ça ne sera de loin pas la dernière. Et pourtant, nos beaux plans nationaux de préparation aux futures épidémies ne comportent aucun chapitre sur la manière de les prévenir, en agissant sur leurs causes-racines. On est donc en train de dire à toutes ces soignantes et soignants ici présents, épuisés par deux années de Covid-19, qu’on ne va rien faire et qu’ils vont devoir s’épuiser à nouveau dans quelques années ou quelques mois à cause d’une nouvelle pandémie. Je ne sais pas si dans ces conditions, ielles auront le courage de continuer à exercer leur métier.
Et la justice, elle, ne trouve rien de mieux à faire, lorsqu’on dénonce cet état de fait, qu’on essaye d’alerter la population et nos autorités, de nous mettre sur le banc des accusés. On a bientôt tout essayé : on est allés rencontrer le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, pour le soutenir dans la pression qu’il exerce sur les ministères de la Santé des pays membres pour qu’ils prennent conscience de cette urgence. Il nous a dit : « Je suis un des vôtres ». On avait invité lors de cette rencontre Richard Horton, l’éditeur en chef du Lancet, un des plus grands journaux scientifiques médicaux, qui appelle les professionnels de la santé à désobéir, à manifester dans la rue. Les médias de chez nous qui m’interviewent sur le Covid-19 refusent systématiquement mes propositions de plutôt parler du problème global des effets du climat et de la biodiversité sur la santé. Même mes phrases explicatives sur les causes-racines de cette pandémie sont coupées après coup dans les articles. Nous avons donc beaucoup de mal à être entendus. C’est pourtant notre devoir de médecin, de soignant-e, d’alerter sur les crises sanitaires à venir, tout comme c’est de notre devoir ensuite, une fois que la crise est là, d’essayer d’en atténuer les effets sur les patient-es et la population. Il n’y a donc aucune contradiction entre ces deux actions, au contraire. J’espère que je vais pouvoir retrouver un sens à mon travail, pouvoir regarder à nouveau mes collègues africain-es dans les yeux, parce qu’on aura diminuer drastiquement nos émissions de CO2 qui tuent leurs enfants, ielles qui n’en émettent que le dixième de nous.
Je vais donc continuer à m’exprimer, dans l’espace public – aussi parce que nous avons prêté le serment d’Hippocrate qui dit « en tout premier lieu, ne pas nuire » – pour demander à nos autorités de faire quelque-chose pour sauver notre humanité qui se meurt…
Texte issu de la conférence de presse donnée à l’occasion du « Procès des 200 » activistes climatiques, Lausanne, le 7 février 2022.